Le développement fulgurant des technologies de l’information et de la communication marqué par l’avènement d’outils de plus en plus performants relativement bon marché, des réseaux haut débit de grande disponibilité et des taux de pénétration en constante croissance ont fini d’incruster pour de bon l’usage du numérique dans nos vies quotidiennes. La confidentialité des données au balbutiement du réseau mondial a très vite laissé la place à une ouverture totale consacrant ainsi le principe du «Open Access» qui est à la base de la démocratisation des accès et des contenus que connait le monde actuel du Net.
L’explosion d’Internet et des réseaux sociaux en seulement quelques années a consacré des mutations profondes dans les habitudes, comportements et attitudes des internautes. Hautement confidentiel à ses débuts, le Web est aujourd’hui devenu un outil utilisé quotidiennement par tous, sociétés, particuliers, gouvernements, et même le grand banditisme! Il est le réceptacle de la transposition de ce qui se passe dans la vie des gens.
On parle aujourd’hui du web 3.0 ou web sémantique définit par Tim Berners- lee comme « un web de données qui peuvent être traitées directement et indirectement par des machines pour aider leurs utilisateurs à créer de nouvelles connaissances » : les big data. Il consacre la jonction entre l’univers physique et l’univers numérique pour déboucher sur un Internet des objets ou Internet des choses où ces derniers, au-delà des mines d’informations qu’ils emmagasinent, sont capables d’apprentissage et d’enrichissement de leurs stocks d’informations. Par exemple, un réfrigérateur connecté pourrait savoir qu’il manque de certains aliments, et avec l’autorisation de son propriétaire, se connecter sur un site marchand, faire ses courses, commander, payer et organiser la réception des marchandises.
La conséquence est que l’internaute se retrouve avec toute sa vie sur la toile, ses données d’identification personnelles ou données personnelles qui renvoient à toute donnée se rattachant à lui et permettant de l’identifier de manière intrinsèque, mais surtout toutes sortes d’informations liées à sa personne ; sa biographie, ses centres d’intérêt, ses habitudes de consommation, ses lieux de fréquentation, ses hobbies, ses amis, ses productions et œuvres intellectuelles, en somme, toute sa vie.
Cette mine d’information sur chaque internaute est disséminée, pour ainsi dire, dans le Cloud (nuage) que constitue aujourd’hui Internet, stockée dans des datacenters, mais capable d’être aisément reconstituée, si besoin, à des fins commerciales, juridiques, militaires, policières.
Qu’advient-il de ces informations après la mort ?
C’est de cette interrogation qu’est née la notion de « mort numérique » porteuse d’une dimension juridique mais aussi sociétale. Aujourd’hui les morts continuent d’exister numériquement dans les réseaux sociaux ; les comptes facebook, twitter, Instagram, email et autres du genre restent ouverts et rappellent aux contacts les anniversaires de personnes décédées et les invitent à leur souhaiter joyeux anniversaire. Des réseaux professionnels comme Linkedin, Viadéo font la même chose en demandant de les féliciter pour leurs n-ièmes anniversaires professionnels ; certains serveurs email configurés en conséquence envoient même des messages automatiques (genre réponse automatique d’accusé de réception ou signalant une absence temporaire) ; des annonceurs envoient mêmes des offres publicitaires, etc. On parle ainsi d’une immortalité numérique ou d’une éternité virtuelle de l’individu.
Patrimoine numérique
Il s’y ajoute que toutes les informations décrites plus haut et bien d’autres confèrent à l’internaute un patrimoine numérique très souvent monnayable à souhait. Il faut signaler que le modèle économique des plateformes qui semblent gratuites (Facebook, Google, Instagram, Twitter, etc.) consiste essentiellement à la vente de ces données à des annonceurs, assureurs, banquiers, et autres). Ce patrimoine numérique de l’internaute est constitué de l’ensemble de ses documents existants sous format digital d’origine ou issus d’un procédé de numérisation (textes, audio, images fixes et animées, vidéos, bases de données, logiciels, brevets, etc. ), qui sont stockés dans la toile et qui ont une valeur marchande ou affective certaine.
Seulement à l’état actuel des législations en vigueur, l’ouverture de ces comptes, qu’ils soient de messagerie ou sur un réseau social sur Internet confère à son auteur des droits personnels exclusifs. Il y va de son droit à un respect de sa vie privée et partant, une protection de ses données personnelles. Ces données étant, par nature, strictement et exclusivement personnelles, les membres de la famille ou amis ne peuvent par conséquent y avoir accès sans son autorisation.
Droit à une mort numérique
En France la Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 « pour une République numérique » proposée par la secrétaire d’Etat au numérique, Mme Axelle Lemaire, prévoit un encadrement de la « mort numérique » en stipulant: « Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès». Cette loi bien qu’elle donne la possibilité de désigner un tiers de confiance numérique certifié par la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), laisse selon certains analystes, « une ambivalence entre l’attraction du droit des successions et la préservation de la dimension personnaliste des droits reconnus à la personne sur ses données collectées ».
Manifestement un vide juridique est là que ne sauraient combler les conditions générales d’utilisation des sites et autres engagements de confidentialité proposés à la création des comptes. Doit-on, en cas de décès dûment déclaré, fermer les comptes et supprimer les données? Les transférer à d’éventuels héritiers qui pourraient ne pas avoir la même vision de leur utilisation? Ne s’expose pas-t-on le cas échéant à la violation de la confidentialité de celles-ci en cas de divulgation contraire au souhait du défunt?
Quelles solutions envisager ?
Quelques approches utilisées par les géants du web.
Les géants de la Toile ont chacun une approche différente de gestion post mortem des données de leurs clients décédés par leurs proches après fourniture de preuves matérielles irréfutables de la mort du concerné et des d’éléments pouvant justifier de leur lien de parenté.
Twitter : propose un formulaire permettant aux proches de demander la fermeture du compte du défunt. Ce formulaire dûment rempli doit être envoyé à son siège à San Francisco.
Facebook : préconise un statut « mémorial » pour les utilisateurs décédés. Le profil reste toujours actif et n’est accessible que par les « amis Facebook», la plupart des fonctionnalités étant rendues inaccessibles.
Google : préconise un dispositif d’ Inactive Account Manager. Le principe est qu’un « gestionnaire de compte inactif » est défini par le user et qui permettra de gérer toutes les données liées à son compte Google et à tous les services associés (YouTube, Gmail, Google Drive, Google+, etc.) une fois que le compte n’est plus actif selon des paramètres définis d’avance. Deux solutions s’offrent alors : soit on demande la fermeture du compte après son décès, soit on demande la transmission de toutes ses données personnelles à un ou des proches préalablement désignés.
Certes il existe en Europe le règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) qui permet à toute personne de se prévaloir du droit à l’accès, droit à l’oubli, droit au retrait mais aussi droit à la portabilité de ses données à caractère personnel, mais cette loi n’est applicable qu’aux entreprises gérant des données personnelles de citoyens européens.
Comme on le voit la sécurisation de la transmission post mortem de nos données numériques à d’éventuels héritiers ou proches ou notre « enterrement numérique» pur et simple comme seconde mort s’opposent comme alternatives pour la gestion de nos données numériques après notre mort physique. L’une comme l’autre option nous conduit vers la nécessité de l’établissement systématique de testaments pour la gestion desquels le notaire est incontournable. Comme le pense Maître Sylvain Aubert Edeneo : « La solution des identifiants numériques ne peut pas être trouvée dans le numérique en raison des risques importants de piratage que rencontrent les différents sites web et d’usurpation d’identité. C’est au notaire qu’il faut s’adresser », insiste-t-il.