Qu’est-ce que l’unitisation ?
Un réservoir de pétrole ou de gaz peut être à cheval sur une frontière séparant deux pays (Sénégal-Mauritanie) ou chevaucher deux blocs adjacents contractuels à l’intérieur d’un même pays. La décision d’exploitation commune des deux blocs contractuels communément appelé unitisation, est alors le processus par lequel ce réservoir chevauchant est développé conjointement par les détenteurs d’intérêts dans les groupes contractuels adjacents. L’Association des Négociateurs internationaux de Pétrole (AIPN) définit l’unitisation comme étant « l’opération coordonnée et conjointe d’un réservoir de pétrole ou de gaz par tous les propriétaires légaux dans les lignes de séparation du réservoir sus-jacent». Compris autrement il s’agit, ni plus ni moins, d’une exploitation commune et concertée d’un réservoir d’hydrocarbures qui chevauche une frontière entre deux pays (unitisation internationale typiquement maritime) ou entre deux blocs à l’intérieur d’un même pays.
La décision d’unitisation d’un gisement, est souvent prise pour des raisons économiques, puisqu’étant plus rentable et efficace que des développements séparés par les groupes contractuels des blocs adjacents. Le développement physique et l’exploitation du réservoir font abstraction de l’existence de la frontière et les parties prenantes conviennent de l’implantation des équipements de production sur un des blocs concernés. Toutefois l’accord intergouvernemental, ou accord d’unité signés par les autorités des deux pays ne les empêche pas, chacun en ce qui le concerne, de mettre en œuvre les dispositions de son régime pétrolier (Lois, Décrets, Contrats de recherche et de Partage de Production, Accord d’association, etc.).
Les autres objectifs sont souvent et entre autres, un développement pacifique des ressources, une gestion optimisée du réservoir, un échange de données géologiques, une efficience au niveau des coûts par une localisation optimale des puits de production et des autres installations d’exploitation.
L’un des autres avantages de l’unitisation est d’éviter les conflits qui pourraient naitre de l’application de la « règle de capture » théorisée par le célèbre avocat pétrolier et gazier, Robert E. Hardwicke, dans les mots suivants; «Le propriétaire d’une parcelle de terrain acquiert le titre du pétrole et du gaz qu’il produit à partir des puits forés sur celui-ci, bien qu’il puisse être prouvé qu’une partie de ce pétrole ou de ce gaz a migré des terres voisines».
On peut citer à titre d’illustration quelques cas historiques d’unitisation comme la Convention Frigg (1976) entre le Royaume-Unis et la Norvège, la convention Markham (1992) entre Royaume-Unis et les Pays-Bas, la Convention Greater Sunrise Unitisation Internationale (2007) entre l’Australie et le Timor-Leste (Timor Oriental), etc.
Un contrat d’unité comporte généralement deux documents. Le premier est le contrat d’exploitation ou accord d’unité signé entre les parties qui décident d’unifier le réservoir commun et les titulaires du titre de propriété ou les propriétaires. Cet accord d’unité contient les conditions de formation de l’unité et les engagements des parties prenantes. Le deuxième document est le contrat d’exploitation de l’unité qui est essentiellement le contrat entre les co-entrepreneurs qui contient toutes les dispositions essentielles pour l’exploitation de l’unité.
La procédure de l’unitisation
Dans le cas d’une unitisation internationale, la première phase consiste pour les gouvernements à délimiter de manière formelle leur frontière. Cette délimitation est formalisée dans le cadre d’un traité ou d’une convention internationale établi et signé par les deux parties. Ce dit document devra par la suite être déposé aux Nations unies qui en porte garant. Enfin les gouvernements négocient et s’accordent sur les différentes dispositions de leur convention d’unitisation, qui peut être : soit une convention d’unitisation cadre pour tous les réservoirs qui peuvent chevaucher leur frontière commune, soit une convention d’unitisation spécifique pour un réservoir particulier. Leurs concessionnaires respectifs s’accordent alors sur une convention d’exploitation unitaire pour le réservoir transfrontalier. Ils devront procéder au choix d’un opérateur d’unité à soumettre à l’approbation des deux gouvernements.
Encadrement juridique
Les lois pétrolières en vigueur dans chaque pays hôte encadrent presque toujours les conditions de l’unification à l’intérieur de leurs pays, comme au niveau de leurs frontières et la plupart recommandent, sinon exigent qu’un réservoir chevauchant deux blocs adjacents soit unifié. Le degré de réglementation de l’unification varie énormément d’un pays d’accueil à l’autre, les pays en développement et les pays non encore dans le gotha des pays producteurs ou ayant juste une petite expérience, dans le secteur pétrolier et gazier, ont naturellement très souvent une législation moins exigeante que les pays plus développés ou ayant un secteur pétrolier et gazier plus mature.
Ces opérations d’exploitation commune sont encadrées par des conventions ou traités entre Etats (cas d’une unitisation internationale). Elles peuvent aussi l’être par le biais d’une convention-cadre qui s’applique à toute découverte future qui pourrait être à cheval sur la frontière de deux pays voisins ou une convention de réservoir unique.
Le cas du Sénégal
Notre code pétrolier en son article 60 stipule : « Lorsque les limites d’un gisement commercial se trouvent à cheval sur plusieurs autorisations d’exploitation, les titulaires concernés, après attribution à chacun d’entre eux d’une autorisation exclusive d’exploitation sur la partie du gisement située dans la zone contractuelle faisant antérieurement l’objet de leur autorisation d’exploitation, signent un accord d’unitisation pour le développement et l’exploitation commune.
Si un gisement d’hydrocarbures s’étend sur plusieurs zones d’exploitation distinctes, les titulaires des autorisations exclusives d’exploitation y afférentes s’efforcent de l’exploiter en commun dans les meilleures conditions d’efficacité technique et économique et dans un souci d’exploitation optimale. »
C’est ainsi que le Sénégal et la Mauritanie partageant un gisement de gaz naturel à cheval sur leur frontière commune, ont signé le 09 février 2018 à Nouakchott, un Accord de Coopération Intergouvernemental (ACI) portant sur l’exploitation de ce gisement dénommé Grand Tortue Ahmeyin (GTA). Cet accord est le fruit d’une « volonté commune d’intensifier la coopération dans le secteur de l’énergie ». Riche de 49 articles et sans remettre en cause la souveraineté intrinsèque de chacun des Etats en la matière, il définit et encadre les conditions de développement, d’exploitation commune et de partage des ressources.
Le choix de l’opérateur d’unité pour Grand Tortue Ahmeyin a été facilité par le fait que c’est le même opérateur de part et d’autre, à savoir actuellement BP.
Répartition initiale
Elle constitue généralement la principale source de litige dans les clauses qui composent la détermination d’un contrat d’unitisation internationale. Elle fixe le cadre d’accord sur le partage des ressources entre les gouvernements concernés et laissent aux concessionnaires la méthode de répartition à déterminer dans leur convention d’exploitation unitaire. Deux méthodes alternatives de partage sont souvent utilisées : celle dite « Pétrole sur place » qui est basée sur la quantité de pétrole (ou gaz) en place avant la production et celle qui base la répartition sur la production effective dite « Réserves/Production ».
Cette répartition initiale est sujette à une révision à la fin de la période initiale sur la base d’une ré-évaluation des réserves souvent à la charge de la partie demanderesse. Pour le projet GTA elle est de 50/50 et elle est basée sur le modèle « Pétrole sur place ».
Comme on le voit l’unitisation exige une règlementation à la fois rigoureuse et souple pour prendre en compte tous les aspects de la question, mais également permettre une réadaptation concertée des dispositions juridiques, fiscales, financières et sociales qui l’encadrent. Des politiques fiscales, de contenu local et d’environnement des affaires différentes de même que l’appartenance des pays concernés à des sous-ensembles régionaux différents avec leurs corollaires d’engagements communautaires souscrits (Sénégal/Mauritanie) constituent autant facteurs qui rendent les accords d’unitisation extrêmement complexes.