Les opposants aux régimes politiques en Afrique généralement ont l’habitude de réclamer, dans le cadre de leurs combats pour l’instauration d’un processus électoral transparent, et ce par mimétisme aveugle, l’audit de leurs fichiers électoraux. L’objectif étant de revisiter la conduite du processus d’enrôlement des citoyens dans ce qu’on appelle communément le fichier électoral, pour aboutir à une opinion sur la fiabilité et la sincérité des informations contenues dans celui-ci.
Il est à déplorer qu’au Sénégal cette pratique est malheureusement entrain de conquérir sa place dans notre agenda républicain, avec la complicité coupable de toute la classe politique, sans que personne n’ait jamais prouver sa pertinence, ni relever des résultats probants qu’elle a eu à donner, si ce n’est des recommandations bateau, usufruit d’un couper-coller ridicule.
Cette année encore, bis repetita, nous sommes engagés dans cette aventure qui va durer au moins 120 jours et nous coûter plusieurs dizaines de millions pour n’aboutir encore une fois qu’à des recommandations généralistes déjà connues d’avance puisqu’étant juste une reformulation des précédentes.
Qu’attend-t-on des auditeurs ?
Les termes de références de leur mission indiquent les objectifs spécifiques suivants: une revue du cadre légal et réglementaire et de la chaîne d’inscription des électeurs, les examens nécessaires du fichier électoral et l’adéquation technologique, l’analyse de l’adéquation des procédures et identification des ajustements à réaliser, l’analyse de l’adéquation des ressources humaines et l’identification des gaps de compétence et des besoins supplémentaires, l’examen des anomalies constatées par les acteurs et enfin la proposition des mesures pour corriger les anomalies constatées. Qui y comprend quelque chose ?
En terme de résultats attendus les consultants devront : fournir un rapport d’ensemble de la mission d’audit avec une note de synthèse, maximum entre 90 et 120 jours après le commencement des travaux ; Tenir un atelier de restitution du rapport d’audit est organisé en présence des différents acteurs du processus électoral, maximum entre 90 et 120 jours après le commencement des travaux.
Comme résultats opérationnels ces deux machins ci-après sont également attendus de la mission: · les experts veilleront à conduire leur travail dans un esprit de neutralité. A cet effet, ils recueilleront soigneusement l’avis de chaque responsable ou technicien concerné et vérifieront les informations recueillies pour être en mesure d’étayer de façon objective et vérifiable chacune de ses conclusions ou recommandations; · les experts veilleront à faire en sorte que leurs analyses et propositions soient partagées de façon claire et compréhensible pour les non spécialistes du secteur. Quelle hérésie !
Autant dire tout de suite, et sans ambages, que leurs conclusions seront à l’aune du flou et de l’imprécision qui caractérisent ces TDRs qui peinent à formuler correctement des objectifs spécifiques et décliner de manière cohérente des résultats attendus.
Au plan purement technique, qu’est-ce qu’un audit d’un fichier électoral pourrait déceler comme failles qu’il faille corriger ? C’est grosso modo des électeurs qui y figureraient plusieurs fois ou qui n’auraient juridiquement pas ou plus cette qualité pour raison de décès, de non atteinte de l’âge de maturité électoral, de perte de droits civiques, etc. La question des doublons, tout comme celle d’électeurs qui n’ont pas l’âge de vote et toutes celles du genre sont normalement réglées en amont par les contrôles de cohérence et de vraisemblance implémentés dans l’application qui en empêchent la survenue. Il y a très peu de chances d’en trouver dans notre fichier. Pour toutes autres questions liées à des aspects de mise à jour de l’état civil, comme les électeurs décédés ou qui ont juridiquement perdu leur droit de vote suite à des condamnations pénales, un audit n’y pourra rien tant que notre état civil demeurera non fiabilisé et que les populations n’adopteront pas des comportements citoyens consistant à systématiquement déclarer les faits d’état civil qui surviennent régulièrement dans leurs vie et qui devront permettre une mise à jour des mentions marginales.
L’autre aspect est lié à l’automatisation de nos procédures judiciaires, de gestion de notre état civil et de mise à jour de notre fichier électoral. En effet ces différents systèmes doivent être non seulement automatisés mais interopérables pour permettre une mise à jour circonstanciée, synchrone et automatique de nos données par des procédures bien définies et mises en œuvre.
Il importe de signaler qu’il est attendu de l’expert en biométrie qu’il « effectue les travaux en rapport avec l’usage de la biométrie dans le système d’inscription des électeurs. Cela inclut l’analyse documentaire, l’inspection des systèmes, des tests impliquant les informations contenues dans le fichier électoral, les cartes nationales d’identité et les cartes d’électeur. Il prend part à toutes les enquêtes de terrain et autres analyses portant sur l’usage de la biométrie. L’expert en biométrie répond à tout questionnement dans le cadre de la conduite de l’audit portant sur l’usage de la biométrie.
En langage moins ésotérique et donc plus digeste, il est essentiellement demandé à l’expert en biométrie de vérifier la présence de données biométriques (empreintes digitales, iris, données faciales, etc.) dans le fichier, sur les cartes et leur utilisation dans les opérations de vote. Quelle veine, le peinard ! Cela, tout quiconque ayant été enrôlé peut y répondre. Oui ces données ont été collectées, certainement elles figurent sur les cartes d’électeurs. Quant à leur utilisation dans les opérations de votes, et c’est là toute leur pertinence, tout électeur ayant voté, ou tout citoyen ayant subi une vérification d’identité a pu constater que le contrôle des cartes d’identité et d’électeur se fait manuellement et à l’œil nu. A quoi sert la biométrie alors ?
Il est plus que temps d’arrêter cette farce de mauvais augure qui n’a que trop duré. Notre cadre légal et réglementaire, usufruit de plusieurs décennies de lutte de très haute facture, conduite par de grands hommes politiques, universitaires et autres de la société civile, a fini de faire ses preuves en nous gratifiant d’alternances paisibles et d’élections globalement très satisfaisantes, toute démagogie mise à part. Nous devons en être fiers même s’il est perfectible et pour cela, ce ne sont pas des pseudos opérations d’audit du fichier électoral, dont on peine à fixer les objectifs et résultats escomptés qui nous permettront d’y arriver mais plutôt une revue concertée et régulière de tout le processus électoral, impliquant l’ensemble des acteurs sans exclusion aucune.